Troisième enfant d’une famille modeste, Constant Poirot est né à Lerrain (Vosges) le 8 juin 1873, peu après la mort de son père.
A peine âgé de 7 ans, il perd sa mère. Grâce aux sacrifices de ses sœurs ainées, il peut poursuivre ses études. Doué d’une remarquable intelligence, il est ouvert à toutes les disciplines, tant littéraires que scientifiques. Elève à Rome, des chanoines réguliers de St-Jean de Latran, puis à la célèbre université de St-Jean des Jésuites de Louvain, il est, en 1896, licencié en sciences physiques et en mathématiques. Ordonné prêtre en 1897, il rejoint le diocèse de St-DIE ; d’abord vicaire à VILLE/ILLON, puis nommé à la cure de St JACQUES avec LA HOUSSIERE, comme annexe. Il doit s’y dépenser sans compter, inlassablement par tous les temps, par tous les chemins, pour apporter à chacun le réconfort de sa présence, son sourire, sa bonté.
C’est dans sa paisible paroisse que vient l’atteindre la déclaration de guerre de 1914. Dans un premier temps affecté comme infirmier dans un hôpital de l’arrière, il rejoint, à sa demande, le 7ème bataillon de Chasseurs Alpins, en tant que brancardier et aumônier bénévole. Avec son cher bataillon, il est de tous les coups durs, le Linge, le Vieil Armand, puis VERDUN et l’Italie où il gagne sur la Piave la Croix de Guerre Italienne. Blessé deux fois, gazé en août 1918, la guerre terminée il revient dans sa paroisse, titulaire de la médaille militaire et de trois citations.
Il reprend alors ses activités pastorales, se déplaçant sur son vieux « clou », bardé de musettes, la soutane haut-troussée, avec ses molletières, le béret d’Alpin crânement planté, ou encore avec ce bizarre tacot qu’il a baptisé « l’Ecrevisse » à cause de son rouge agressif et qui pétaradant, crachant de la fumée cahote sur les routes.
Mais c'est à nouveau la guerre ! En 1939, il ne peut plus prétendre au combat (il a 66 ans), mais il ne se résigne pas à subir ; il refuse de mettre l’horloge à « l’heure allemande ». Il se dépense sans compter, tant dans ses sermons que dans ses conversations et il affirme sa foi dans la victoire finale.
Très vite sa renommée s’étend. On l’admire, on l’écoute, on le suit. Sa maison devient le P.C. clandestin où se retrouvent les chefs des maquis qui se constituent, où s’organisent des réunions, où l’on fabrique des fausses cartes et où sont entreposés les journaux et tracts clandestins avant d’être « ventilés ». Il héberge, malgré son dénuement, des évadés, des réfractaires, des déserteurs de la Wehrmacht Alsaciens ou Lorrains « malgré nous », tout comme des parachutistes ou aviateurs alliés « descendus ».
Dès le printemps 1943, Mr GONAND (Lucien dans la résistance), traqué par la Gestapo, se réfugie chez lui d’où il pourra continuer à organiser le secteur. Le 6 juin 1944, après le soulèvement du maquis, il garde temporairement dans sa cave, les 4 prisonniers allemands faits à CORCIEUX et au mirador de SARIFAING.
Dans l’après-midi, après avoir pu enfin savoir que le groupe de Corcieux a pris le maquis au Clair Sapin avec leurs 48 prisonniers, l’abbé POIROT livre les 4 allemands aux jeunes maquisards de La Chapelle, en leur demandant d’aller rejoindre le groupe à Clair Sapin. Ces derniers s’arrêtent dans plusieurs maisons, s’attardent et finalement ne peuvent traverser la route de la Querelle à cause des patrouilles allemandes. Ils reviennent sur leurs pas. Dans le fol enthousiasme de cette journée où l’on considère déjà l’ennemi complétement vaincu, on parle de la résistance, de leurs chefs, des détails sont révélés, sans penser que l’un des prisonniers comprend parfaitement le français. De plus, ces quatre hommes connaissent ceux qui les ont arrêtés et ceux qui les conduisent ; les relâcher serait imprudent en cas de représailles. La solution est alors de les supprimer. L’un des jeunes gens se charge de l’opération, dans une maison abandonnée au milieu des bois : aucun mauvais traitement, juste une balle pour chacun, sans enterrement. Deux jours plus tard, le 8 juin, une femme recherchant son mari et son fils partis au maquis découvre les cadavres. Apprenant la nouvelle, l’Abbé POIROT se rend sur place pour vérifier que c’était bien de ses 4 allemands qu’il s’agit.
Le mal étant fait, il demanda à deux fidèles paroissiens, en qui il a toute confiance : Paul GEORGES et Edmond CUNY, d’enterrer les 4 allemands, de ne laisser aucune trace et de n’en parler à personne. , Aidés par leurs fils, Edmond GEORGES et Michel CUNY les deux paroissiens transportent les corps à LA MOULURE dans une « mine d’eau » abandonnée, qu’ils rebouchent.
Le 10 juin, à Saint-Jacques-du-Stat, l’abbé POIROT se rend à l’église pour y dire sa messe matinale, lorsqu’il voit de nombreux soldats encercler son presbytère ; il se réfugie à l’église, s’attendant à être arrêté, il se prépare à la mort, mais comme il se plaira à le rappeler « ils ne sont pas venus me chercher là où ils auraient dû penser que je me trouvais ». Tous ses meubles, ses livres, ses modestes effets sont brulés, sa tête mise à prix.
Il se cache dans un champ de seigle, puis se réfugie chez le curé de BIFFONTAINE, puis chez celui de MORTAGNE, et devient cheminot à MONT-SUR-MEURTHE, en prenant soin de laisser pousser sa barbe.
Le 12 juin, dès l’aube les allemands cernent le village, tous les hommes sont arrêtés, des otages sont emmenés pour interrogatoire à Corcieux. Les faits dramatiques qui s’en suivirent sont relatés sur les panneaux explicatifs érigés sur les différents lieux, à LA CHAPELLE ; à la MOULURE (où Paul GEORGES a été torturé et exécuté, Pierre PARADIS mitraillé), Edmond GEORGES et Edmond CUNY, mort en déportation, Michel CUNY déporté à 16 ans est revenu en 1945 (pour retrouver son parcours, lire HASLACH et VAIHINGEN, de Sylvie Vissà et JF Faye) ; Christiane REMY fillette de 8 ans et demi, est mortellement blessée sur le chemin de l’école. Le 14 juin : 9 maquisards sont exécutés à LA CARRIERE des fusillés, à CORCIEUX, route des Arrentés, et d’autres sont déportés, beaucoup ne reviendront pas.
L’abbé POIROT a poursuivi sa lutte, en tant que cheminot comme « saboteur ». Il a reçu pour ses actions menées au Maquis de Corcieux, et celles menées parmi les cheminots : la croix de guerre et la médaille de la résistance.
A la libération, on le retrouve aumônier à l’hôpital de Senones. C’est là qu’il s’éteint, en paix, le 28 février 1952. Le 3 mars, son éloge funèbre est prononcé par le colonel MARLIER, au titre de la résistance, en présence d’une foule immense venue de partout, avec d’importantes délégations officielles et des anciens du Maquis de Corcieux.
Nous ne quitterons pas le curé POIROT sans saluer encore une fois cet homme, ce vétéran, qui fut sans conteste l’un des plus discrets, des plus audacieux, des plus fidèles à la cause de la Résistance du maquis de Corcieux.